Le Catalogue des Traces

^ Crédit photo : Centre culturel Yvonne L. Bombardier

Valcourt 2030 et le Centre Culturel Yvonne L. Bombardier s’associent à l’artiste Jennifer Alleyn afin de mettre en place l’édition valcourtoise du projet Le Catalogue des Traces au cours du printemps 2022. Le Catalogue s’intègre à la programmation du projet Bienvenue dans la région de Valcourt de Valcourt 2030, avec la participation financière du gouvernement du Québec.

Le concept est simple : Les objets nous disent, nous traduisent, nous portent. Ils nous survivent et nous racontent.

Nous vous offrons le bilan de cette exposition qui s’est terminée le 21 août 2022 en vous présentant les participants et les jumelages entre nouveaux-arrivants et résidents de Valcourt. Vous pouvez aussi consulter les archives du Centre Culturel Yvonne L. Bombardier pour d’autres souvenirs de ce partage interculturel : https://centreculturelbombardier.com/expo-archives-jennifer-alleyn/

Mohamed, 73 ans, Maroc et Nicolas

Mohamed et sa femme sont venus du Maroc rejoindre leur fille employée chez BRP et ont décidé de s’installer à Valcourt il y a un an. Ils ont trois petits-enfants et encore une maison à Agadir. Sa femme y a oublié sa bague. Sans travail ici, Mohamed accompagne son épouse qui ne parle pas le français à ses cours de francisation. Il traduit tout pour elle avec l’espoir qu’un ou l’autre puisse trouver un emploi.

« Nous sommes bien intégrés ici. Nos deux enfants travaillent chez BRP alors nous sommes heureux près de nos petits-enfants et la vie est tranquille mais le temps est long sans travail. »

Wannnès, 32 ans, Tunisie et Micheline

Ingénieur mécanique, Wannès a obtenu il y a cinq mois un emploi au Québec dans une technologie de pointe. En acceptant ce poste chez BRP, il a dû laisser son petit garçon et sa fille de quatre mois en Tunisie. Arrivé ici, il a appris que son contrat de type C ne permettait pas la réunification des familles. Il devra donc recommencer tout le processus d’immigration qui peut être très long, peut être deux ans, pour faire venir ses proches à Valcourt. Pour arriver à supporter leur absence, Wannès aimerait accrocher au mur un grand cadre avec les belles photos de sa femme et ses enfants.

« J’ai laissé ma femme se débattre avec nos deux enfants. Mon garçon, qui était très attaché à moi, et ma fille de quatre mois. Communiquer par écran, c’est très dur. Je pensais que ma fille ne me connaîtrait pas, mais elle a dit son premier mot : papa. »

Erilson, 37 ans, Philippines et Jacqueline

Erilson a quitté seul les Philippines pour travailler chez Lemay Outillage, laissant derrière lui sa femme et ses trois enfants. Il espère faire venir sa famille, mais il lui faut économiser plus de dix mille dollars pour les billets d’avion. Pour le moment il envoie une grande partie de son salaire à sa famille dans son pays. Les activités qu’il faisait avec sa femme lui manquent grandement. Ensemble ils faisaient pousser des plantes et des rosiers en pots, ils les arrosaient chaque jour, c’était leur projet commun.

« Ce qui me manque le plus, c’est ma famille. C’est long et pour les enfants, c’est très dur. »

Jhonatan, 35 ans, Colombie et Michelle et Jacqueline

Jhonatan est aujourd’hui employé chez BRP. Mais la route fut difficile. Il a quitté la guerre civile en Colombie avec son épouse, alors enceinte de sept mois. Fuyant des menaces de mort, ils ont pris l’avion jusqu’aux États-Unis etensuite, traversé la frontière à pied par le chemin Roxham. Demandeur d’asile, ce réfugié politique a pu entrer au Canada et démarrer une nouvelle vie. Mais cet administrateur de formation a d’abord dû faire des ménages pour survivre et nourrir sa femme et sa première fille. Depuis deux ans, il apprend le français. Il aimerait faire venir sa mère, restée au pays, dans la tension.

« Mon plus grand regret, c’est d’avoir laissé ma mère en Colombie. J’ai refait une vie ici avec ma femme et mes deux enfants, mais c’est dur
pour moi, fils unique, de savoir ma mère seule là-bas avec la violence. »

Adèle, 29 ans, France et Kevin

Française d’origine, Adèle a immigré au Québec avec son copain et rapidement adopté la région de Valcourt. Elle voulait par son immigration, se découvrir, loin du milieu familial. Adèle a laissé son doudou, une fraise en peluche, chez ses parents. Ce toutou incarne un peu sa famille, qu’elle quitte chaque année après les vacances, mais dont elle s’ennuie au quotidien.

« Chaque fois que je rentre en France, je me demande si je devrais l’apporter, car il me manque. Mais je ne veux pas l’abîmer et je le laisse en sécurité
chez mes parents, jusqu’à la prochaine fois, mais je me dis que je finirai bien par l’apporter ici. »

Frédérick, 41 ans, France et Laura

Frederick et son épouse ont choisi d’élever leurs enfants dans un autre pays pour favoriser leur ouverture au monde. Avec une opportunité de travail chez BRP, ils ont pu le faire, tout en restant dans un environnement francophone. Établis à Valcourt depuis 1 an, rien ne leur manque sauf les soirées entre amis autour du « multi-crêpes party », un repas collectif et festif, où chacun fait ses crêpes. Comme la raclette ici, on se retrouve autour d’un plat qui se
prépare au fur et à mesure du repas et permet d’échanger.

« En France, on faisait beaucoup de réunions amicales et familiales autour de notre multi-crêpes party, mais on n’en trouve pas ici et ça nous manque. »

Jean-Daniel, 53 ans, France et Ginette

De pâtissier à berger, Jean-Daniel a troqué la campagne bretonne pour les champs de Valcourt. Citoyen du monde, voyageur, nomade, il cumule 27 ans de vie à l’étranger. Un objet qui lui manque? Son système de son Yamaha laissé en France.

« La vie va de plus en plus vite et j’ai perdu l’habitude d’écouter de la musique, pourtant j’aimais vraiment ça. Je me demande pourquoi, aujourd’hui, je ne prends plus le temps d’écouter des disques. »

Jim Claire, 18 ans, Philippines et Hanaé

Établie depuis un an à Valcourt, Claire a rejoint son père depuis les Philippines avec sa soeur et sa mère. Son arrivée au Québec l’a d’abord inquiétée, mais elle s’est vite intégrée à un groupe d’amis. Elle performe bien à l’école et espère devenir infirmière. Lui manque son Teddy Bear, qu’elle a oublié à l’aéroport juste avant de monter dans l’avion, trop émue de se séparer de sa grand-mère.

« Mon père est venu ici trois ans avant nous, alors il n’était jamais là quand je récoltais des médailles scolaires aux Philippines. Je rêve de pouvoir recevoir une médaille et que mon père soit présent dans la salle. »

Gohil, 27 ans, Inde et Valérie

Originaire de la ville d’Indore, en Inde, Gohil est designer mécanique chez BRP. Foody de réputation, il adore préparer à manger pour ses proches. Il peut trouver des épices indiennes dans les magasins québécois, mais le goût n’est pas le même que celles que fait pousser sa mère dans son jardin en Inde. Si un restaurant indien ouvre à Valcourt, il prédit que beaucoup d’autres travailleurs étrangers de son pays viendront s’établir dans la région.

« J’aime tellement préparer à manger pour mes amis ici. J’aimerais pouvoir rapporter plus d’épices chaque fois que je rentre voir ma famille en Inde, mais je finis toujours par en manquer ! »

Adrianna, 23 ans, Manitoba et Danny

De confession mennonite et originaire du Manitoba, Adrianna a suivi son mari dans la région de Valcourt pour travailler avec lui dans la porcherie familiale. Son exil est linguistique, car elle doit apprendre le français pour travailler au Québec. C’est sa montre de jeune fille qui lui manque.

« C’est une petite montre rose que j’avais achetée avec mon argent de poche. Je la portais partout, c’était une marque de mon indépendance. »

Joseph, 37 ans, Philippines et la famille Turcotte

Employé à SET47, Joseph, en quittant les Philippines, a dû laisser sa petite maison d’une seule pièce où il dormait dans le même lit que sa femme et son fils. Ici, à Valcourt, même dans son appartement de trois pièces, il reproduit l’habitude débutée dans leur ancienne maison en dormant entouré de son fils, à sa gauche, et de sa femme, à sa droite. Ce qui lui manque aujourd’hui, c’est d’avoir une maison à lui. Il espère pouvoir en acquérir une à Valcourt d’ici quelques années.

« Dans ma maison aux Philippines, je dormais avec mon fils à droite, ma femme à gauche, et moi au milieu! C’est comme ça! »

Audrey, 44 ans, France et Michel

Française d’origine et enseignante, Audrey donne des cours de francisation aux nouveaux arrivants de Valcourt. Après la Beauce, elle s’est établie à Valcourt avec sa famille. Nomade, elle est de moins en moins attachée aux objets, sauf à un petit carnet de marche. Ce dernier recense toutes les étapes du chemin de Compostelle, parcouru avec celui qui allait devenir son mari. Sans contact avec le monde extérieur, ils ont marché pendant les cinq semaines du pèlerinage, un périple qui allait déterminer leur capacité à s’unir pour la vie.

« Après trois déménagements, je réalise qu’on n’a besoin de très peu de choses. La prochaine fois, on repart sans rien; juste nous et les enfants,
c’est tout ce qui compte pour notre bonheur. »

Cyril, 30 ans, France et Sara

Cyril, 30 ans, s’est posé à Valcourt avec un contrat chez BRP. Nomade, il a déjà visité 15 pays et il rêve de vivre partout sur la planète. Ce voyageur passera une ou deux saisons ici avant de repartir. Il n’a la nostalgie de rien, sauf de sa maison en France, achetée juste avant la pandémie.

« Il y a aussi une boîte de photos de famille que je regarde quand je rentre chez mes parents et ça fait remonter des souvenirs. Ça, j’y suis très
attaché, car c’est ma vie, c’est ma jeunesse. »

Karine, 28 ans, France et Jean-Sébastien

Karine travaille pour Aquatech, chez BRP et à l’usine d’épuration d’eau, avec une petite équipe dynamique et passionnée. La vie est belle pour cette amoureuse des découvertes et des grands espaces, qui en plus d’avoir trouvé un emploi qu’elle aime, a rencontré un québécois qui l’a demandée en mariage. Il ne lui manque qu’une chose, sa complice en cuisine: la cuisinière au gaz de son père restée en France.

« J’adore cuisiner mais ma cuisinière au gaz me manque. C’était celle de mon père, ce dernier est décédé. J’aurais aimé apporter sa gazinière en souvenir de lui mais ce n’était pas possible. »

Mounir, 27 ans, Tunisie et Julia et Joseph

Arrivé au Québec il y a cinq mois, Mounir pensait pouvoir faire venir sa famille après six mois de séjour, mais il vient d’apprendre que son permis de travail et son contrat de type C ne permet pas la réunification des familles. Il souffre de ne pas voir ses trois enfants et son épouse et cherche chaque jour une solution pour les faire venir ici.

« Ce qui me manque le plus c’est le mouvement des enfants dans la maison et la beauté de ma femme. »

Retour sur les différentes étapes du projet :

À partir d’une série d’entretiens réalisés auprès de nouveaux arrivants, l’artiste établit une « liste des objets laissés derrière ». Porteurs de mémoire, ces objets issus du quotidien faisaient partie du décor, de l’identité, de la culture d’avant. Avec l’immigration, ils ont dû être abandonnés. Reste leur souvenir et la mémoire qu’ils charrient des vies quittées. Le Catalogue des traces vise à restituer, au moyen d’un échange interculturel et d’une installation éphémère soulevant les questions du déracinement et de la mémoire, ces objets perdus.

Pour la portion participative de l’œuvre, les résidents de Valcourt sont invités à identifier un objet de la « liste » dont ils peuvent trouver un équivalent chez eux et à le prêter à l’artiste le temps de l’exposition. L’artiste constituera avec ces objets une installation qui évoque le processus migratoire. Le visiteur, déambulant autour de l’installation, pourra entendre les propos des nouveaux arrivants par le biais d’une œuvre audio. L’objet commun, qui souligne non pas les différences, mais les ressemblances entre les êtres, fait remonter à la surface, les bribes d’un récit à partager. Le projet culmine avec une rencontre où les témoins et les prêteurs seront amenés à échanger et dialoguer autour des thèmes du déracinement et de la mémoire.

Les citoyens seront également invités à une grande rencontre interculturelle qui aura lieu en juillet où plusieurs surprises seront au programme.

Serez-vous un prêteur? Objets recherchés (Illustrations de Frank Fournier)

Si vous voulez participer au projet artistique de Jennifer Alleyn, et que vous possédez cet objet, contactez Chantal Raymond au Centre culturel Yvonne L. Bombardier, du mardi au samedi, entre 10 h et 17 h, au 450.532.2250, poste 36, pour coordonner la collecte.

Nous attendons vos propositions d’ici le 25 avril 2022 !

Compétences

Posté le

14 avril 2022